Réussir son "off" avec Erik Clavery
La pratique du « off » s’est beaucoup développée ces dernières années, notamment depuis l’ère du Covid-19. Alors privés des courses organisées, de nombreux sportifs ont décidé de créer leurs propres projets. Aujourd’hui, la pratique continue de séduire et nous avons fait appel à Erik Clavery pour optimiser son voyage et se lancer dans l'aventure.
Qu’est-ce que le off ?
Même si l’on ne retrouve pas de définition officielle, le off correspond à une pratique faite à l’écart de toute compétition organisée. L’organisateur, c’est le coureur ! Du choix du tracé à sa réalisation, c’est le sportif qui dirige le projet. Il peut se décliner sous différentes manières, seul ou accompagné, en alliant plusieurs sports… Dans cet article, nous allons traiter de la réalisation d’un off en course à pied, mais les conseils peuvent se décliner pour un autre sport comme le vélo, même si quelques ajustements seront nécessaires.
Parmi les grands projets qui ont eu un impact ces dernières années, on peut parler des différentes tentatives de record du GR20 en Corse, ou du GR34 en Bretagne. Des traversées de massifs ont aussi été organisées comme celui des Alpes par l’itinéraire de la Via Alpina par exemple.
Erik Clavery, le off pour s’évader
Pour livrer les meilleurs conseils afin de réussir sa course en off, nous avons décidé de faire appel à Erik Clavery, spécialiste des sports d’endurance en étant passé par le triathlon, le Trail, les 24 heures sur piste… Il est également coach mental et conférencier. Son impressionnant palmarès de course est composé d’un titre champion du monde de Trail en 2011, de nombreuses victoires comme sur la SaintéLyon 2011 ou l’EcoTrail de Paris en 2012. Cela est complété d’excellentes performances comme sa quatrième place sur le Grand Raid de la Réunion en 2012, et plusieurs Top 10 sur l’UTMB. Il a également pris le départ de plusieurs courses à étapes, comme le Marathon des Sables en 2016 ou le Grand to Grand qu’il a remporté en 2017. Erik aime également les pratiques de courses en off, lui qui a longé les côtes normandes par le GR223 (650 kilomètres en 4 jours et 13 heures) et qui détient le record de la traversée des Pyrénées par le GR10 en 9 jours et 9 heures (887 kilomètres et 49636 mètres de dénivelé positif en 2020).
C’est à cette dernière partie que nous nous sommes intéressés : les pratiques en dehors des organisations de course. Erik Clavery va nous partager son expérience et ses meilleurs conseils afin de réussir son off. Les conseils vont être donnés par ordre chronologique, de la préparation à la concrétisation de son aventure.
Définition globale de l’objectif
Se lancer dans l’aventure du off demande beaucoup de préparation. La première étape va être de planifier son itinéraire. Pour cela, on peut déjà se questionner sur les affinités qu’entretient l’athlète avec le projet. L’intérêt que l’on porte au projet fait partie intégrante de celui-ci, comme lors d’un choix d’une course. Plus l’intérêt envers l’objectif est important, plus on augmente les chances pour réussir ce dernier.
Erik Clavery nous rappelle une liste de questions non exhaustives à se poser en amont :
- Quel est l’itinéraire choisi ? Quel sera le parcours et le format ? (distance, dénivelé...)
- Quel sera le type de terrain ?
- Un off avec ou sans assistance ?
- Sur quelle période le réaliser ?
- Quelles seront les conditions climatiques ?
Par exemple, Erik Clavery illustre cela en nous expliquant son cheminement pour sa traversée des Pyrénées par le GR10. Le parcours était relativement proche en France, la distance lui paraissait accessible, la date du projet était définie en fonction du temps d’ensoleillement. Toutes ces questions lui ont permis de préparer son projet de la meilleure manière possible, en adaptant sa préparation aux conditions qu’il allait rencontrer.
Préparer sa logistique
Après avoir défini les grandes lignes de son objectif, la préparation du côté logistique est la seconde partie qui intervient. Chaque projet a ses propres caractéristiques et c’est à partir de celles-ci que va découler la logistique à mettre en place. Pour comprendre cela, Erik Clavery prend l’exemple d’un projet que l’on va réaliser dans le désert dans des conditions plutôt chaudes qu’il met en perspective avec un projet réalisé dans des conditions totalement différentes comme on pourrait le retrouver lors d’un projet hivernal en France.
Tout d’abord, cela va influencer l’équipement à adopter, que ce soit les chaussures, le textile ou les accessoires qui devront être adaptés aux conditions. Si l’environnement est plutôt montagneux, on pourra s’équiper de bâtons si l’on a l’habitude de les utiliser par exemple.
Si l’on a choisi de se faire accompagner sur le projet, cet accompagnement est à prévoir. Erik Clavery conseille d’anticiper la gestion d’un camping-car qui nous suit par exemple, comme il l’avait fait lors de son aventure normande par le GR223.
Ce dernier point va jouer sur le poids à transporter puisque l’on va pouvoir s’alléger en apportant plus ou moins de ressources sur soi. On parle ici notamment des ressources alimentaires, que l’on devra apporter pour plusieurs jours si l’on fait le choix de réaliser un projet en totale autonomie sur plusieurs journées. À l’inverse, on pourra s’alléger de ce poids si l’on retrouve une assistance chaque soir. De plus, afin d’approfondir ce point, Erik Clavery apporte des conseils non négligeables :
- Une alimentation appropriée aux conditions rencontrées, avec par exemple une hydratation à adapter en fonction de la chaleur.
- Prévoir des aliments variés dans le cas d’un projet sur plusieurs jours.
- Prévoir des aliments de qualité pour apporter l’énergie nécessaire.
Comme nous l’avons compris, la clé est donc de préparer sa logistique en l’adaptant aux conditions prévues. Nous souhaitons tout de même insister sur le point de la sécurité qui n’est pas à mettre de côté. Si le poids de l’équipement est un facteur majeur pour la réussite du projet, des éléments essentiels restent à emporter avec soi, que l’on soit en autonomie ou pas : couverture de survie, téléphone portable, sifflet…
La préparation physique
Ce point majeur est valable pour une course en off, comme pour une course officielle. Les principes restent les mêmes. Nous avons déjà abordé de nombreux sujets sur le thème de l’entraînement, sur lesquels nous n’allons pas revenir ici. En revanche, il est vraiment important de retenir un point essentiel afin de réussir son projet, qui consiste à se préparer en fonction des grandes lignes du projet (temps prévu, distance, dénivelé, conditions climatiques…). En effet, le principe de spécificité s’applique tout autant pour son « off » que pour une course officielle. Dans le cas où l’aventure se déroule en montagne, il sera nécessaire d’inclure du dénivelé dans sa préparation. Une course dans un environnement chaud nécessitera de s’y habituer au préalable, que ce soit par un stage d’acclamation dans le meilleur des cas ou des stratégies moins complexes à mettre en place logistiquement.
Par exemple, Erik Clavery évoque la possibilité de réaliser des entraînements sur home-trainer en ajoutant plusieurs couches de vêtements afin d’habituer son corps à mieux thermoréguler. Pour réaliser sa traversée des Pyrénées par le GR10, le champion du monde de Trail 2011 avait choisi de réaliser du renforcement musculaire du haut de corps pour préparer son corps à utiliser les bâtons, un équipement qu’il n’a pas l’habitude de manier dans sa région nantaise.
L’approche mentale pour réussir son off
En tant que préparateur mental, Erik Clavery nous livre ses meilleurs conseils sur cette approche psychologique. Tout d’abord, il insiste sur son importance, trop souvent négligée. Ensuite, cette approche mentale doit être intégrée dès que l’on conçoit le projet. Ce dernier doit être préparé avec une réelle motivation de l’athlète, qui va constituer un moteur indispensable dans les moments plus difficiles, que ce soit dans la préparation ou la réalisation. Le fait de « connaître son pourquoi » est donc très important. Plus les motivations seront profondes, plus les chances de réussite seront présentes.
Sans entrer dans les détails de la technique de projection mentale, le fait d’anticiper certaines situations en imaginant les terrains auxquels nous allons être confronté est un réel atout. Concrètement, on peut utiliser des outils cartographiques sur Internet qui permettent de visualiser des points de passage de la trace et de mieux appréhender le terrain. Les vidéos que l’on peut trouver sur Internet peuvent aussi être un très bon outil complémentaire. La projection mentale permet aussi de trouver des solutions palliatives plus rapidement. Si une situation difficile et ses solutions possibles avaient été anticipées, alors le stress et la perte de temps seront amoindris.
On se doit aussi de programmer sa progression en définissant tous les points qui vont nous mener à notre objectif final.
Déterminer ses propres limites est aussi une étape par laquelle nous devons passer dans l’approche mentale.
Enfin, le dernier point à souligner dans cet aspect mental est la transformation des croyances limitantes en croyances dynamisantes. Si l’on commence son projet avec des convictions qui nous effraient, on diminue ses chances de réussite.
Si tous ces points peuvent paraître abstraits, Erik Clavery nous montre comment il a mis en place cela dans sa traversée des Pyrénées. Pour lui, il s’agissait d’un projet auquel il pensait depuis plusieurs années et qui le motivait au plus profond de lui-même. Traverser la chaîne de montagne était un réel moteur dans sa préparation et il avait anticipé chaque point qui allait le mener à cet objectif. Il avait défini ses propres limites en ne se « laissant pas le choix d’arriver à Hendaye », synonyme de réussite du projet. Il reconnait que le seul motif d’abandon était pour lui le fait de ne plus pouvoir avancer (fracture, accident grave…). Cette approche lui a permis de dépasser la douleur de son entorse à la cheville qu’il s’est faite le deuxième jour de son aventure. Il a donc réalisé les sept jours suivants avec cette contrainte. Ici, il convient de préciser que le coureur ne s’est pas mis en danger, mais il était « conditionné pour cela » comme il le témoigne.
Dans une autre approche, si l’on en vient à devoir abandonner son objectif et que cela se réalise en accord avec les limites que l’on s’était fixées, cette déception sera plus facile à accepter. De plus, Erik Clavery avait décidé de travailler sur ses croyances limitantes liées au manque de sommeil. Conscient de son besoin important de sommeil au quotidien, il s’était convaincu que le manque de sommeil auquel il allait être confronté lors de son record n’allait pas être un frein à sa réussite, en s’inspirant des marins ou en s’appuyant sur des scientifiques.
L’action, l’aventure : le off !
Après avoir évoqué tous les points qui permettent une préparation efficace, il est maintenant l’heure de se plonger dans son aventure. Même si cette phase d’action peut sembler arriver tardivement dans l’approche du off, ce sont toutes les étapes réalisées au préalable qui vont permettre de maximiser la réussite de celui-ci.
Pendant son aventure, la concentration doit être le maître mot ! Elle nous permettra de prendre du plaisir et d’atteindre l’objectif fixé. On se doit de rester concentré sur toutes les choses que l’on a travaillées à l’entraînement. On parle ici des points évoqués précédemment, qu’il s’agisse de son alimentation, sa gestion de course, son matériel… Tous les protocoles établis en amont se doivent d’être respectés, même si l’on doit conserver une certaine flexibilité et une adaptabilité en s’adaptant aux aléas rencontrés comme peut l’être la météo. Si l’on doit retenir une phrase d’Erik Clavery pour évoquer la réalisation de l’aventure : « Rester concentré sur ce que l’on a à faire et non pas sur ce que l’on aurait pu faire ou dû faire. ». Le champion du monde de Trail 2011 conseille également de faire des bilans réguliers, au moins quotidiennement. Cela permet de constater de son avancée dans le projet, et de voir si l’on est toujours dans nos objectifs fixés, comme les temps de passage que l’on s’était fixé. Par conséquent, ces bilans vont nous aider à (re)trouver cet élément motivationnel.
Pour terminer ce point, qui rejoint les sujets déjà abordés pour la phase de préparation, il est important d’insister sur la récupération au sein de l’aventure, si celle-ci se découpe en plusieurs étapes. Cet aspect ne devra pas être négligé si l’on souhaite profiter pleinement. En fonction du type de off choisi (avec ou sans assistance, nuits en hôtel ou non…), on va pouvoir opter pour différentes techniques. Si le sommeil et l’alimentation constituent la base d’une récupération optimale, l’enchaînement réussi des étapes pourra aussi se réaliser grâce à des outils supplémentaires : bottes de pressothérapie, massages… Si l’on souhaite profiter des phases actives du off, les phases « passives » ne sont pas à négliger !
La gestion de l’après
Trop souvent négligée, cette phase est pourtant importante et s’inscrit pleinement dans la réalisation globale du projet. Elle peut d’ailleurs s’appliquer à n’importe quelle aventure à laquelle on prend le départ, qu’il s’agisse d’un off ou d’une course officielle. Si l’on s’engage dans ce type de projet, c’est pour en vivre une expérience et en tirer des apprentissages. Pour reprendre les mots d’Erik Clavery, « Si l’on en vit l’expérience mais que l’on n’en tire pas de leçons, c’est comme si l’on passait à côté de quelque chose. ». En effet, nous devons être en capacité de dégager des points plus ou moins positifs sur l’aventure vécue, surtout si l’on a l’ambition de revivre ce type d’expérience. Cela passe donc par cette phase de « débriefing », qui doit nous aider à corriger les points plus négatifs du projet et les transformer en axes d’améliorations. Au-delà du cadre sportif, le off nous fait vivre une aventure humaine, ponctuée de rencontres qui nous enrichissent. À l’inverse, on peut s’être retrouvé seul pendant plusieurs jours complets, ce qui favorise la déconnexion et l’introspection. Ainsi, les « leçons » que l’on tire de ce débriefing s’appliquent aussi bien au milieu sportif que dans notre vie quotidienne.
Il faut également savoir se projeter sur l’avenir. On connaît le « blues du marathonien » et cela s’applique également pour une course en off. Comme nous l’avons vu, ce type de projet nécessite un investissement global, tant au niveau physique que mental, qui n’intervient pas seulement pendant le projet, mais tout au long de la préparation. Tous ces moments forts vécus pendant plusieurs semaines favorisent une « déprime d’après-course » puisque l’on se retrouve dans son quotidien, alors que l’on a vécu « quelque chose d’exceptionnel ». Le fait de se relancer avec un nouvel objectif, qui ne doit pas nécessairement être toujours plus important, va nous aider à dépasser cette phase plus difficile. Cela va permettre de trouver une nouvelle dynamique, qui nous amène à revenir au premier point abordé : la définition de l’objectif. On rentre à nouveau dans ce cycle qui permet de retrouver une dynamique positive !
Au terme de cet échange avec Erik Clavery, on comprend que le off ne s’improvise pas. Si l’on voit souvent la phase émergée (la réalisation du projet), de nombreux points sont à considérer pour que l’aventure se déroule du mieux possible.
Nous tenions à remercier Erik Clavery pour le temps qu’il a accordé et pour nous avoir livré ses précieux conseils.