L'entorse de cheville : une blessure banale ?

Entraînement
22/3/2023

L'entorse de cheville est la blessure sportive la plus fréquente. À tel point que lorsque l’on dit : "je me suis fait une entorse", on pense immédiatement à la cheville et plus particulièrement à cette zone autour de la malléole externe, qui est la plus fréquemment touchée.

En France, c'est plus de 6 000 cas par jour soit une entorse toutes les treize secondes. Depuis que vous avez commencé la lecture de cet article, une ou deux personnes quelque part dans le pays ont subi cette blessure. Ces données sont sans doute sous-estimées puisqu'un individu blessé sur deux ne consulte même pas de professionnel de santé et presque les trois-quarts reprennent le sport dans les trois jours qui suivent. C'est dire le caractère presque ordinaire de cette blessure.

Pourtant, celle-ci coûte à notre système de santé environ 1 200 000 € par jour ! Et il ne s'agit là que des coûts directs (soins médicaux, rééducation) par opposition aux coûts indirects tels que les arrêts de travail, la perte de productivité, les frais de transport qui alourdissent encore la note finale (2 000 000€ par jour selon l’IRBMS).

Mais au fait, c'est quoi exactement une entorse ?

Il s'agit d'une lésion d'un ou plusieurs ligaments qui sont les stabilisateurs passifs de nos articulations (les muscles en étant les stabilisateurs actifs). Les entorses sont cotées en trois catégories selon leur gravité :

• Les entorses de grade I correspondent à une distension ligamentaire (un étirement trop important). Le délai de guérison est d’une à trois semaines.

• Lors des entorses de grade II, le(s) ligament(s) est partiellement déchiré(s). Ceci allonge, bien entendu, le délai de cicatrisation qui peut aller jusqu’à 6 ou 8 semaines selon la lésion.

• Enfin, on parle d’entorses de grade III lorsque le ou les ligaments sont complètement rompus ou qu’il s’associe à l’entorse un arrachement osseux du bout de la malléole. Il faut alors compter 3 mois pour obtenir une guérison complète.

Ces délais sont indicatifs et peuvent varier d’une personne à l’autre en fonction de plusieurs paramètres : alimentation, sommeil, activité physique, rééducation…

La cascade catastrophique

Nous l’avons vu plus haut, les ligaments sont les stabilisateurs passifs de nos articulations. À ce titre, ils sont très riches en capteurs permettant d’informer notre cerveau sur la position de chacune des parties de notre corps.

L’entorse va donc perturber ce processus et rendre la cheville plus « floue » pour le cerveau. Il existe, pour cette raison, un risque important de récidive : une seconde entorse survient dans 40 à 70% des cas selon les études.

Si rien n’est fait, ceci peut ensuite mener à ce que l’on appelle une instabilité chronique de cheville : l’articulation se « tord » dans des situations banales (en marchant sur un sol stable, en descendant un trottoir, en courant pour attraper son train…). De plus, ces épisodes ne sont souvent même plus douloureux, d’où une certaine fatalité des personnes qui y sont confrontées : « j’ai les chevilles fragiles », « ce n’est pas grave ».

Là où cela se complique, est que cette instabilité est un facteur de risque d’arthrose. Dans certains cas (pas tous mais une bonne proportion), une usure prématurée de l’articulation se développe.

Le délai entre l’entorse et l’arthrose est évalué à environ 25-30 ans. Cette dernière est souvent douloureuse, invalidante et la médecine actuelle est relativement pauvre pour la traiter.

L’option thérapeutique la plus efficace est l’arthrodèse : une immobilisation totale et irréversible de la cheville par des vis placées à l’intérieur de l’articulation.

Le point de départ de tout ceci n’a été qu’une « simple » entorse.

Du coup, on fait quoi ?

Il ne s’agit pas de détailler chaque étape du bilan tel qu’il pourrait être fait par un professionnel de santé. Simplement de vous donner quelques tests pour vérifier chez vos athlètes (ou sur vous-même si vous avez déjà eu une entorse) les capacités de l’articulation de la cheville.

Nous allons voir également que la rééducation et la prévention ne se résument pas à maintenir l’équilibre sur un plateau de Freeman (ce fameux cercle en bois avec une demi-sphère dessous).

 

Management d’une blessure aiguë

Avant toute chose, il faut savoir que la prise en charge précoce des entorses a bien évolué ces dernières années.

La conduite à tenir devant une telle blessure a longtemps été résumée par l’acronyme RICE : Rest (repos), Ice (glace), Compression, Elevation. Puis, les experts se sont rendu compte que l’introduction de contraintes bien dosées améliorait la cicatrisation.

L’acronyme est devenu POLICE : Protection, Optimal Load (charge optimale), Ice (glace), Compression, Elévation.

Ce n’est que récemment que Jean-François Esculier et Blaise Dubois de La Clinique du Coureur ont publié un article pour remettre à jour cette prise en charge selon les principes de ce qu’ils ont appelé le PEACE & LOVE.

Le PEACE correspond à la phase qui suit immédiatement la blessure : Protection, Elevation, Anti-inflammatoires à éviter, Compression, Education (de la part des thérapeutes).

Le LOVE est à utiliser par la suite et signifie Load (charge), Optimisme, Vascularisation et Exercices. C’est à ce moment-là que l’on peut tester et travailler les différents points ci-dessous.

L’amplitude articulaire

Une part importante de personnes ayant fait une entorse de cheville se trouve limitée dans les mouvements, notamment en flexion dorsale (celui qui permet de remonter la pointe de pied vers soi, souvent appelé plus trivialement le « pied Flex »).

Or, cette amplitude est très importante pour conserver un bon équilibre. Le test correspondant est celui de la fente : sujet debout, le but est de toucher le mur avec le genou sans décoller le talon.

Le gros orteil est, au départ, en contact avec le mur puis l’objectif est de reculer le pied le plus possible (figure 1). La mesure de la distance finale entre le mur et le gros orteil donne un critère objectif être productible qui reflète l’amplitude en flexion dorsale de la cheville.

Figure 1

L’équilibre postural

Cet équilibre est le reflet de la coordination entre les muscles pour garder le centre de gravité (ou plus exactement sa projection au sol) à l’intérieur de ce que l’on appelle le polygone de sustentation c’est-à-dire la figure formée par nos appuis (le cadre rouge sur la figure 2).

Plus ce polygone est petit, plus il est difficile de maintenir l’équilibre : nous sommes très stables les pieds écartés, un peu moins les pieds joints et encore moins sur un pied.

Figure 2

Le polygone de sustentation

Le point rouge représente la projection au sol du centre de gravité.

Sur l’image de droite, le polygone est long et étroit : il est facile de résister aux déséquilibres avant/arrière mais pas à ceux dans le plan latéral.

Sur l’image du bas, le polygone est court et large (sujet sur la pointe des pieds) : les déséquilibres latéraux sont mieux tolérés que ceux dans le sens avant/arrière.

Un test très simple pour l’évaluer : la capacité à tenir l’équilibre sur un pied les yeux fermés. Un maintien d’une trentaine de secondes peut être considéré comme un bon score.

Cette capacité se travaille, non pas sur un plateau instable qui est peu spécifique à la cheville, mais plutôt debout, sur un pied, le talon en situation d’instabilité (sur une mousse ou décollé du sol), l’avant du pied sur un sol stable avec des déséquilibres plutôt en provenance du haut du corps (rotations de la tête, passes avec un ballon, mouvements avec un poids…) (figure 3).

Figure 3

L’équilibre dynamique

À la différence de l’équilibre postural, l’équilibre dynamique fait intervenir des mouvements des différents segments (bras, jambes, tronc).

Il est évalué par le Star Excursion Balance Test (SEBT) : le sujet est debout sur un pied. L’objectif est d’aller toucher le sol sans s’y appuyer dans trois directions : devant, derrière et vers l’extérieur puis derrière et vers l’intérieur (figure 4). La mesure des distances atteintes est mesurée.

Les deux pieds sont à tester pour mettre en lumière une éventuelle asymétrie.

Figure 4

La confiance de l’athlète

La manière dont la personne perçoit sa cheville est également un point important à évaluer surtout dans l’objectif d’un retour au sport. Le questionnaire Cumberland Ankle Instability Tool permet une mesure objective au moyen de questions simples sur des sujets tels que les douleurs ou l’instabilité perçue.

Le retour au sport

À quel moment peut-on retourner pratiquer son activité ? Cette question est en général l’une des premières posées au professionnel de santé à la suite d’une entorse ou de toute autre blessure. La reprise du sport est cruciale car elle peut, si elle est trop précoce ou si la personne n’est pas suffisamment préparée, faire le lit d’une récidive puis de la cascade catastrophique détaillée plus haut.

Une étude récente a fait le point sur ce sujet. Les auteurs ont demandé à 155 experts de se prononcer sur les points importants à considérer lors du retour au sport. Leur conclusion fait état de cinq domaines à évaluer avant la reprise :

La douleur : durant l’activité bien sûr mais aussi pendant la vie de tous les jours.

Les déficits au niveau de la cheville à la fois en termes de mobilité articulaire mais aussi de force, endurance et puissance des muscles qui sont autour.

La perception du sportif qui est finalement le premier concerné : sent-il que sa cheville est stable, a-t-il confiance en son articulation, se sent-il prêt à reprendre le sport ?

L’équilibre (ou plutôt les équilibres : postural et dynamique).

Les caractéristiques relatives au sport : sauts, changements d’appui, capacité à suivre une séance d’entraînement complète.

Si tous les voyants sont au vert, la reprise de l’activité devrait se faire sans heurts. En cas de problème sur un ou plusieurs items, une adaptation de l’activité et/ou un travail de rééducation sera à entreprendre ou à continuer.

En bref

Une entorse de cheville, ça paraît banal. Pourtant, cette blessure peut déstabiliser en profondeur de nombreux systèmes permettant un mouvement fluide, sûr et de bonne qualité.

La formidable capacité d’adaptation du corps humain nous permet malgré cela de continuer à rester actif, de reprendre le cours normal de nos vies (sportives ou pas) sans y accorder trop d’importance.

Jusqu’à une potentielle récidive puis une éventuelle instabilité chronique qui, elle non plus, ne nous importunera pas trop. C’est quand les douleurs se feront plus invalidantes, plus présentes, limiteront nos activités quotidiennes que nous prendrons conscience qu’il faut faire quelque chose. Malheureusement, il est alors trop tard, l’arthrose est là et aucun traitement à l’heure actuelle, n’est véritablement satisfaisant.

Le point de départ de tout ceci a été une simple entorse. Il est donc important d’agir tôt : une consultation avec un professionnel de santé qui fera un bilan sérieux de toutes les composantes vues plus haut pour aboutir à un plan de traitement adapté aux caractéristiques de chacun.

L’idéal serait d’agir en prévention et de repérer, par quelques tests de terrain, les personnes les plus à risque de subir une entorse pour travailler sur les capacités qui font défaut.

Nicolas Bloy est masseur-kinésithérapeute et éducateur sportif.

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